Recevoir une obligation de quitter le territoire français (OQTF), c’est affronter une décision administrative lourde de conséquences. Elle implique, dans un délai parfois très court, de quitter le territoire national, sous peine de mesures d’éloignement forcé. En 2024, plus de 140 000 OQTF ont été prononcées, selon le ministère de l’Intérieur1, souvent à la suite d’un refus de titre de séjour, d’un rejet de demande d’asile ou d’un contrôle en situation irrégulière.
Pourtant, selon l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), moins de 20 % d’entre elles sont exécutées2. La Cour des comptes pointe dans son rapport les causes de cet écart : surcharge des préfectures, erreurs juridiques fréquentes, délais non respectés…
Des voies de recours contre une OQTF sont donc envisageables. Voici les étapes à respecter pour contester une obligation de quitter le territoire français et un rappel de vos droits et délais.
Qu’est-ce qu’une OQTF et dans quelles situations est-elle prononcée ?
L’obligation de quitter le territoire français est une mesure d’éloignement prononcée par le préfet ou le préfet de police à l’encontre d’un ressortissant étranger en situation irrégulière sur le territoire. Elle repose sur les dispositions des articles L. 611-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
Dans quels cas une OQTF peut-elle être délivrée ?
Une OQTF peut être prononcée dans plusieurs situations :
- refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour, avec obligation de quitter la France ;
- rejet définitif d’une demande d’asile ;
- absence de titre de séjour, révélée lors d’un contrôle administratif ou policier ;
- menace à l’ordre public ou fraude avérée ;
- retrait d’un droit au séjour antérieurement accordé.
La décision d’OQTF est souvent notifiée en même temps qu’un refus de séjour, parfois dans un même document, accompagné d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) selon la gravité des faits reprochés.
Avec ou sans délai de départ volontaire ?
L’administration peut accorder un délai de départ volontaire de 30 jours (OQTF « avec délai »), ce qui permet à la personne concernée de quitter la France à ses frais et d’organiser son retour. Or, dans certains cas jugés urgents ou sensibles, elle peut ordonner une OQTF sans délai, applicable immédiatement, notamment en cas de risque de fuite, refus antérieur de départ, menace à l’ordre public.
Le type d’OQTF conditionne directement les délais de recours, qui peuvent varier de 48 heures à 30 jours selon les cas (voir section sur les délais).
Quelles sont les conséquences d’une OQTF ?
La réception d’une obligation de quitter le territoire français entraîne des effets immédiats sur la situation administrative de la personne concernée. Selon qu’elle soit assortie ou non d’un délai de départ volontaire, les conséquences peuvent être graduelles ou très rapides.
Exécution de la mesure
Comme vu plus haut, en cas d’OQTF avec délai, la personne dispose de 30 jours pour quitter la France de manière autonome.
En cas d’OQTF sans délai, l’exécution peut être immédiate, souvent accompagnée d’une mesure de rétention administrative ou d’assignation à résidence.
Dans tous les cas, le non-respect de la mesure expose à une expulsion forcée, parfois sous escorte, avec une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) qui peut aller jusqu’à 3 ans, voire plus si la personne est considérée comme une menace à l’ordre public.
Inscription au fichier SIS
Une OQTF non exécutée peut entraîner l’inscription au Système d’information Schengen (SIS), ce qui bloque l’accès à l’ensemble de l’espace Schengen. Il devient alors presque impossible, de voyager ou de demander un visa dans un autre pays de l’Union européenne.
Conséquences sur les démarches postérieures
Un étranger sous le coup d’une OQTF non exécutée verra ses chances de :
- régularisation administrative ;
- demande de titre de séjour ultérieur ;
- réintégration dans le territoire ;
fortement compromises, sauf cas exceptionnels liés à des motifs humanitaires ou familiaux reconnus par l’administration ou le juge.
Quels sont les recours possibles contre une OQTF ?
Face à une obligation de quitter le territoire français, plusieurs recours sont envisageables selon la situation et le délai imparti. Ces voies de contestation visent à obtenir l’annulation de la décision préfectorale, sa suspension ou sa révision.
1. Le recours contentieux devant le tribunal administratif
Il s’agit du recours principal, prévu à l’article L. 512-1 du CESEDA. Il permet de contester à la fois :
- la décision de refus de séjour ;
- l’OQTF elle-même ;
- le cas échéant, l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF).
Le recours doit être :
- écrit, motivé et signé ;
- accompagné des pièces justificatives pertinentes ;
- adressé au tribunal administratif compétent dans le ressort de la préfecture ayant délivré l’OQTF.
En parallèle, une demande de suspension de l’exécution peut être formulée, ce qui permet, si elle est acceptée, de geler l’expulsion le temps que le juge statue au fond.
2. Le recours gracieux auprès du préfet
Cet appel s’exerce directement auprès de l’autorité qui a pris la décision. Il consiste à demander la révision de l’OQTF sur la base d’éléments nouveaux ou d’une analyse juridique différente.
Le recours gracieux n’interrompt pas les délais contentieux : il peut être tenté en complément, mais ne remplace pas le recours juridictionnel si le délai de 48 h, 15 jours ou 30 jours est en cours.
3. Le recours hiérarchique auprès du ministère de l’Intérieur
Il est également possible de saisir directement le ministère de l’Intérieur, supérieur hiérarchique du préfet, dans un recours administratif non contentieux. Cette voie est rarement couronnée de succès, mais peut être utile dans certains cas symboliques ou politiquement sensibles.
4. Cas particuliers
Si la personne fait l’objet d’une procédure d’asile (refus récent), il est parfois possible de demander un réexamen de la demande d’asile, notamment si de nouveaux éléments sont à étudier.
Si la personne est déjà en rétention, elle peut saisir le juge des libertés et de la détention en parallèle, pour contester le placement.
| ▶︎ Cas réel : une OQTF annulée après recours contentieux – Tribunal administratif de Melun, janvier 2025 Un couple algérien, arrivé légalement depuis la Belgique, a contesté une OQTF prononcée par la préfecture de Seine-et-Marne. Le tribunal a annulé la décision au motif que le préfet avait méconnu l’accord franco-algérien de 1968, qui garantit un certificat de résidence aux ascendants à charge d’un ressortissant français.Grâce aux preuves de virements financiers réguliers et à l’état de santé du père, le juge a considéré que l’administration avait porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale (article 8 de la CEDH). Le tribunal a enjoint la préfecture de délivrer un titre de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Tribunal administratif de Melun, 5ème Chambre, 26 septembre 2024, 2304162 |
Quels sont les délais pour contester une OQTF ?
Le délai pour contester une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dépend du type de procédure et de la situation de la personne au moment de la notification. Le non-respect de ce délai entraîne l’irrecevabilité du recours, sans examen au fond, ce qui peut conduire à une expulsion rapide.
3 principaux délais selon le type d’OQTF
- OQTF avec délai de départ volontaire
C’est le cas le plus fréquent : l’administration laisse à la personne concernée un délai de 30 jours pour quitter la France volontairement. Le recours contentieux et administratif doit être déposé dans ce délai, sous peine de rejet automatique.
- OQTF sans délai ou exécution immédiate
Le délai de recours est de 48 heures. L’administration peut décider de supprimer le délai de départ en cas de :
- risque de fuite ;
- menace à l’ordre public ;
- comportement dilatoire avéré.
Ce délai extrêmement court implique une réaction immédiate, souvent avec le soutien d’un avocat ou d’une association.
- OQTF liée à un rejet de demande d’asile en procédure accélérée
Le délai de recours est souvent de 15 jours. Cette situation vise en particulier les demandeurs d’asile déboutés dans une procédure dite « accélérée » (procédure prioritaire ou Dublin). Le recours doit être déposé dans un délai impératif de 15 jours à compter de la notification de la décision.
| ▶︎ Cas réel : une OQTF exécutée faute de recours dans les délais En 2021, un père de famille Kosovar, installé en France avec sa famille depuis 10 ans, a vu son recours rejeté, car hors délai. Il n’avait eu connaissance de l’OQTF que tardivement.Malgré son intégration, la scolarisation de ses enfants et le soutien local, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé l’OQTF. Placé en centre de rétention, il n’a gelé l’expulsion qu’en déposant in extremis une demande de réexamen d’asile à la préfecture.Cet exemple illustre l’importance : – de réagir immédiatement après la notification d’une OQTF ; – de respecter strictement les délais légaux ; – et de se faire accompagner, si possible, par un avocat en droit des étrangers. CAA de BORDEAUX, 1ère chambre, 30/09/2021, 21BX01474, Inédit au recueil Lebon |
Comment bien calculer les délais ?
Le décompte des délais varie selon la nature de l’OQTF.
Si vous avez 30 à 15 jours
Le délai commence à courir le jour de la notification de la décision, que ce soit par courrier ou en main propre. Le dernier jour du délai est inclus. Si ce jour tombe un samedi, un dimanche ou un jour férié, le délai est prolongé jusqu’au lundi suivant à minuit. Attention, le recours doit être reçu (et non posté) dans ce délai.
Si vous avez 48 heures
Le délai commence à l’heure exacte de la remise de la décision. Le calcul se fait de minute à minute, y compris les samedis, dimanches et jours fériés.
| ▶︎ Exemple : Une OQTF vous est notifiée le vendredi à 18 h 50 = le tribunal doit avoir reçu votre recours avant le dimanche à 18 h 49. |
Dans tous les cas, ce qui compte est la date et l’heure de réception du recours par le greffe du tribunal, et non la date d’envoi ou de dépôt dans une boîte postale.
Quels documents et arguments fournir pour contester une OQTF ?
Pour contester efficacement une obligation de quitter le territoire français, il faut constituer un dossier clair, complet et bien argumenté. Ce dossier servira à démontrer soit l’illégalité de la décision préfectorale, soit l’existence de circonstances personnelles ou familiales qui justifient un maintien sur le territoire français.
Les pièces basiques à inclure dans tout recours
- La copie intégrale de la décision contestée, comme le refus de séjour + OQTF et éventuellement l’IRTF.
- Une pièce d’identité (passeport, carte consulaire, ou acte de naissance avec traduction).
- Une attestation de domicile récente.
- L’accusé de réception de la notification de l’OQTF ou preuve de sa remise en main propre (pour calcul du délai).
- Le formulaire de demande d’aide juridictionnelle, si vous en faites la demande.
Les justificatifs selon votre situation personnelle
Le recours doit démontrer que la décision est injustifiée ou disproportionnée au regard de votre situation. Il est donc utile d’ajouter des éléments stratégiques en fonction de votre situation.
En cas d’ancienneté de séjour
- Preuves de résidence continue : attestations d’hébergement, factures, contrats de travail, certificats médicaux, etc.
En cas de vie privée et familiale
- Certificats de mariage ou PACS.
- Actes de naissance d’enfants nés en France ou scolarisés.
- Justificatifs de cohabitation (bail, factures communes).
- Preuves d’intégration (attestations associatives, bénévolat, attestations de proches, etc.).
En cas de situation médicale
- Certificat médical circonstancié, établi par un médecin agréé.
- Preuves que le traitement n’est pas accessible dans le pays d’origine (via l’OFII).
En cas d’insertion professionnelle
- Contrats de travail, fiches de paie, attestations d’employeurs.
- Diplômes ou attestations de formation en cours.
En cas d’erreur manifeste de droit
- Mise en lumière d’un non-respect d’un accord bilatéral (ex. : accord franco-algérien de 1968).
- Violation du principe de respect de la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
| ▶︎ Exemple de jurisprudence favorable Dans l’affaire du couple algérien en Seine-et-Marne (janvier 2025), l’OQTF avait été prononcée au motif que les intéressés ne dépendaient pas financièrement de leur fils français, grâce à : – la présentation de relevés bancaires qui démontrait des virements réguliers ; – et la soumission de rapports médicaux qui détaillait l’état de santé du père ; le tribunal a considéré que l’administration avait commis une erreur d’appréciation et a annulé l’OQTF, ordonnant la délivrance d’un titre de séjour. Tribunal administratif de Melun, 5ème Chambre, 26 septembre 2024, 2304162 |
Qui peut vous accompagner dans cette démarche ?
Plusieurs acteurs peuvent intervenir pour vous aider à comprendre la décision, préparer votre recours et assurer votre défense devant le tribunal administratif.
L’avocat en droit des étrangers
Un avocat en en droit des étrangers peut :
- évaluer la légalité de la décision préfectorale ;
- vous conseiller sur la stratégie de recours la plus adaptée (contentieuse ou administrative) ;
- vous assister dans la rédaction du mémoire ;
- assurer votre défense à l’audience devant le juge administratif ;
- formuler une demande de suspension d’exécution, en urgence.
| ☞ Bon à savoir : Si vos ressources sont limitées, vous pouvez demander le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Le formulaire est à joindre au recours contentieux. Si elle est accordée, les frais d’avocat seront pris en charge, totalement ou partiellement. |
Les associations spécialisées
Certaines associations proposent des permanences juridiques gratuites et peuvent :
- vous informer sur vos droits ;
- vous aider à constituer le dossier ;
- vous orienter vers des avocats partenaires ou vous accompagner dans vos démarches.
Parmi les structures reconnues :
- La Cimade ;
- Le GISTI ;
- La Ligue des Droits de l’Homme ;
- Le Secours Catholique ;
- Certaines associations locales de soutien aux étrangers (selon les départements).
| ⚠️ Attention Ces associations sont parfois débordées. En cas de difficulté à obtenir un rendez-vous rapidement, il est conseillé de prendre contact en parallèle avec un avocat, surtout si le délai de recours est court (48 h ou 15 jours). |
Les autres soutiens possibles
- Travailleurs sociaux, intervenant dans des centres d’accueil ou des structures d’hébergement.
- Comités de soutien locaux, parfois organisés autour d’écoles, de quartiers ou d’initiatives citoyennes.
- Collectivités territoriales, certaines mairies ou départements peuvent proposer des aides ponctuelles, ou relayer votre situation.
Foire aux questions et checklist : ce qu’il faut savoir sur l’OQTF
Que risque-t-on si l’on ne conteste pas une OQTF dans les délais ?
Le non-recours ou un recours hors délai équivaut à une acceptation de la décision. L’OQTF devient alors exécutoire, ce qui ouvre la voie à :
- une interpellation à domicile ou dans l’espace public ;
- un placement en centre de rétention administrative (CRA) ;
- une expulsion forcée sous escorte ;
- une interdiction de retour sur le territoire français pouvant aller jusqu’à 5 ans ;
- à une inscription au fichier SIS, interdisant l’accès à l’espace Schengen.
Ces conséquences peuvent fortement compromettre toute future demande de séjour ou de visa.
Que se passe-t-il si je suis demandeur d’asile et que je reçois une OQTF ?
En cas de rejet de la demande d’asile, une OQTF peut être notifiée immédiatement. Deux cas de figure se présentent :
- En procédure normale, vous disposez de 30 jours pour former un recours contre l’OQTF.
- En procédure accélérée, le délai est réduit à 15 jours.
Dans certaines circonstances, il est possible de déposer une demande de réexamen d’asile, notamment en cas d’éléments nouveaux. Cela peut suspendre temporairement l’exécution de l’OQTF.
À noter : la protection contre le refoulement est garantie par l’article L. 513-2 du CESEDA et la Convention de Genève, mais elle doit être invoquée correctement et rapidement.
Peut-on obtenir une annulation d’OQTF même après plusieurs mois ?
Oui, dans certains cas, il est possible de :
- déposer une nouvelle demande de titre de séjour ;
- invoquer des éléments nouveaux (état de santé, vie familiale, insertion) ;
- ou déposer un recours hors délai fondé sur l’excès de pouvoir, mais cela reste exceptionnel.
Une consultation juridique est indispensable pour évaluer les chances de succès.
Checklist des actions à mener pour contester une OQTF
Voici les étapes clés à suivre dès la notification :
- Lire attentivement la décision reçue (date, délai de recours, IRTF éventuelle).
- Vérifier le délai applicable (48 h, 15 j ou 30 j selon les cas).
- Conserver une preuve de la notification (date et heure si remise en main propre).
- Contacter immédiatement un avocat ou une association spécialisée.
- Constituer un dossier de recours, décision contestée et justificatifs.
- Déposer le recours auprès du tribunal administratif compétent dans le délai.
- En parallèle, demander la suspension d’exécution et/ou l’aide juridictionnelle si besoin.
Il est recommandé de photocopier l’ensemble du dossier et de conserver une trace écrite de chaque échange ou dépôt.
En définitive, être la cible d’une OQTF peut bouleverser une vie, mais, il est toujours possible de faire valoir ses droits. À condition d’agir rapidement, de respecter les délais impartis, et de constituer un dossier solide. S’entourer d’un soutien compétent, avocat, association, structure d’accueil, reste souvent la meilleure garantie pour faire entendre sa situation. Chaque parcours est unique, c’est pourquoi un accompagnement personnalisé peut faire la différence dans l’issue d’un recours.


